Les Elégantes de Marseille......


Les Elégantes, on les voit de très loin : ce sont les grandes grues du port de Marseille
On les voit de la mer, on les voit du TGV, on les voit de partout. Elles sont 5, cinq grandes grues, attachées pour toujours à l'histoire du grand port méditerranéen.


Dès les années 1950, elles répondaient aux besoins d' une époque de pleine activité des quais et des docks marseillais.
L'Algerie, la Tunisie et le Maroc suscitaient un va-et-vient permanent de grands bâteaux et cargos. Elles ont alors obtenu leur plénitude opérationnelle .
C'était l'époque où fleurissaient les affiches des grandes compagnies de navigation marseillaises. Elles s'appelaient
Chargeurs Réunis, Messageries Maritimes, ou Fraissinet-Cyprien Fabre.
Ces grandes affiches ont suscité maintes vocations parmi les garçons de l'époque, rêvant de voyages et découvertes exotiques de pays lointains, et elles ont dû être à l'origine de nombreux engagements dans notre Marine bien-aimée.
Mais dès l'indépendance algérienne, l' utilisation des grues a périclité assez vite, tandis que le grand port de Marseille entrait dans une période d'engourdissement durable. Qui permettait à certains plaisantins de propager cette galéjade :
Combien y a-t-il actuellement de navires dans le port de Singapour ? 700
Et dans celui de Shanghai ? 1000
Et dans celui de Marseille ? 10

Pour en revenir à nos 5 Elegantes, qui rouillaient, immobilisées à jamais, leur destruction avait été programmée.
On a pu cependant admirer ces énormes chefs d'oeuve de technicité dans maints films de l'après-guerre, et même dans l'album de Tintin Les 7 boules de cristal ; avec leurs 72 tonnes, elles représentent un symbole de la peine des hommes au cours des siècles écoulés.

Mais les 5 élegantes vont être sauvées !

Car une association de défense du patrimone a volé à leur secours, a mobilisé la presse locale et a trouvé un echo favorable notamment dans le Nord. Parce qu'en fait les grues avaient été construites par la société industrielle lilloise Paindavoine, qui a fabriqué entre 1860 et 1965 une grande partie de toutes ces énormes machines qui ont aussi meublé les quais de tous les grands ports français, tels Dunkerque, Le Havre, Bordeaux ou Nantes

C'est de Nantes que sont partis la plupart des grands voiliers français qui allaient affronter le Cap Horn pour remonter ensuite la côte chilienne jusqu'à la baie mythique de Valparaiso, pour y charger du nitrate en provenance du désert d'Atacama

Et Valparaiso, c'était l'escale tant attendue, comme Manille, mais pas pour les mêmes raisons
A l'escale de Manille, on savait qu'on allait bien s'amuser et s'encanailler ; mais à Valparaiso, on savourerait le bonheur d'avoir survécu au terrible passage du Cap Horn, d'être sorti vivant, une fois de plus, des terribles tempêtes et des effroyables souffrances qui accompagnaient inévitablement cette épreuve. Epreuve qui chaque année causait invariablement la disparition de nombre des grands clippers qui osaient y faire face

Le HOCHE, NANTES, resta bloqué 34 jours au Cap Horn, face à des vents glacés, avant de pouvoir entrer dans le Pacifique...
CAMBRONNE, Dunkerque, lutta 92 jours avant de pouvoir entrer dans le Pacifique....
DUCHESSE ANNE, NANTES, lutta 49 jours, perdit mâts et voilure et dut abandonner, ballottée par les vagues...C'est le 3-mâts anglais MAXWELL, LIVERPOOL, qui s'en revenait de Valparaiso, qui sut manoeuvrer avec assez d'habileté pour pouvoir recueillir les malheureux en détresse
Président FELIX FAURE, NANTES, fut attaqué de l'arrière par une immense vague qui envoya 15 hommes par dessus-bord...Plus tard il sombra et les rares survivants moururent de faim sur une ile déserte...
BRETAGNE, LE HAVRE, perdit sa mâture et pendant 13 jours les hommes accrochés comme des crabes au pont noyé et balayé par des rafales glacées luttèrent pour sauver leurs vies.
En 1900, EUROPE, SAINT-MALO, pris dans un ouragan déchaîné, perdit 7 hommes en même temps qu'il fut dépouillé de ses voiles
Et lors de la grande tempête de 1891 , 6 hommes furent retrouvés morts, les mains gelées dans les cordages à bord de COTE d'EMERAUDE, SAINT-MALO

Et il y en a eu des centaines comme ça...
Ayez une pensée pour ces hommes courageux , vous y aviez peut-être un ancêtre...

Pour risquer ainsi sa vie, le salaire d'un matelot était de 80F/or, divisé entre sa propre bourse et celle de sa famille.
110 F/or pour la maîtrise : le charpentier, le cuisinier, et le maître d'équipage (bosco).
150 F/or pour les officiers : le second ou le lieutenant, qu'on appelait Monsieur
250 F/or pour le Capitaine qui touchait une prime de 500 F/or si le voilier arrivait au Chili en moins de 90 jours. Il pouvait bien entendu répartir cette prime entre lui-même et les hommes d'équipage

Et à Valparaiso, lorsqu'un navire s'apprêtait à quitter la rade pour regagner l'Europe, il arborait le signal de partance :
une Croix du Sud en bois, qui annonçait qu'il allait prendre le large !
Si c'était la nuit - car c'étaient les vents et la marée qui décidaient - tout illuminé, il garnissait ses vergues de fanaux
Alors, à bord de tous les navires, les hommes vont brandir des torches jusque sur les vergues de cacatois et sur la rade de Valparaiso, toute la flotte au mouillage battra la chamade à coups de sabots dans les chaudrons, en branlant les 100 cloches de bronze pour soutenir les hurrahs des matelots et les souhaits de bon voyage....à celui qui s'en va !
En anglais, en français, en allemand, en danois, en grec, en italien, en croate, en espagnol , Hurrah et Farewell (Bon voyage) pour celui qui s'en va, pour relever le Cap Horn et remonter vers l'Europe !
En espérant que ce ne sera pas son dernier voyage, et qu'un jour on se reverra à une table de taverne pour entonner ensemble :
In Hamburg, an der Elbe !

Et n'oubliez pas :
le Richelieu fut le dernier des 121 grands voiliers nantais à franchir le Cap horn, le 13 mai 1925
Il arborait sur sa coque les marques du célèbre Armement Bordes : une grande ligne blanche flanquée de faux sabords noirs
Je ne sais pas si ce jour-là, à bord de Richelieu, on a abaissé 3 fois le pavillon pour saluer un dernière fois le Cap mythique à l'origine de tant de drames, dans la plus pure tradition de la Maine, mais ce qui est sûr, c'est que :
Ce jour-là, une page de plus de notre histoire s'est tournée !

Sur les clippers américains, et par la suite sur tous les autres, les Capitaines eurent très vite le droit d'emmener à leur bord leurs épouses, pour des missions qui pouvaient parfois durer de 6 mois à 2 ans sans escale. C'est ainsi qu'Antoinette Rio-Condroyer eut l'occasion de franchir 6 fois le Cap Horn, à bord de SUZANNE, BORDEAUX, que commandait son mari. Elle put aussi rallier Bordeaux à la Nouvelle-Calédonie en 84 jours.