Elles ont labouré la France...


le 10 décembre 2006, c'est une légende du patrimoine français qui a disparu pour toujours..
Ce jour-là le mythique Train Bleu originel est parti pour son dernier voyage. Parti, comme il l'avait fait tous les jours depuis le 8 décembre 1883, de Vintimille à 20H00 précises pour rallier Calais, tandis que son homologue faisait le chemin en sens inverse. Et le lendemain matin, on verrait sur les quais de Nice ou Monaco des foules joyeuses exprimant leur joie et leur bonheur, joie de retrouver leurs amis, leurs parents, leurs enfants...Au milieu de toutes ces exubérantes manifestations d'allégresse , un seul homme n'intéresserait personne, ne susciterait qu'indifférence, un homme ignoré de tous. Pourtant il était facilement reconnaissable : il avait le visage noir de suie et de fumée séchée, une casquette bleue vissée sur sa tête . Et il avait passé la moitié de la nuit accoudé à la lucarne de sa magnifique 141R, le visage dans le vent ou le froid , à scruter la voie, les yeux protégés par dénormes lunettes de mécano ; et il avait passé l'autre moitié de la nuit à enfourner des pelletées de charbon dans la chaudière de sa machine, en compagnie de son assistant. Ses seuls instants de repos, il les avait pris à Carnoules, où il avait dû s'arrêter pour renouveler le plein d'eau de sa citerne. Mais pour lui, aucun signe amical, même pas un simple regard, aucune expression de gratitude, l'ignorance totale...Pourtant, son train avait toujours été à l'heure, à la minute près, depuis 1883....

Quelques années plus tôt , c'était une autre légende du patrimoine européen qui avait disparu : le fabuleux Orient Express, qui a silloné l'Europe pendant 94 ans, de 1883 à 1977 ; il partait d'Istanbul et transitait par Sofja, Beograd, Brodd, Zagreb, Trieste, Venise, Milan , puis Domodossola où il ne s'arrêtait pas mais s'apprétait à affronter les pentes du Simplon ; ensuite Lausanne , Bâle , Paris et Calais... Magnifique et fugace trait d'union pour tous les peuples européens si martyrisés par une histoire tragique....

Mais les superbes 141R et leurs homologues italiennes ou allemandes n'ont pas labouré que la France et l'Europe...Elles ont aussi essaimé leurs bienfaits partout ailleurs dans le monde....Ainsi :

D'Asmara à Massawa

Le train remis en état !
En train à vapeur à travers l'Erythrée
pour un voyage hors du temps...

Il relie à nouveau Massawa, au bord de la mer rouge, à Asmara, perchée à plus de 2000 mètres d'altitude :
C'est le train, mis en service du temps de la présence italienne. La construction de la voie ferrée a débuté en 1887, et dès 1911 le train atteignait les hauts plateaux d'Asmara, à 2300 m. d'altitude.

A l'issue d'une guerre d'indépendance de trente ans menée contre l'Ethiopie voisine, et qui s'est terminée en 1993, toutes les infrastructures du pays étaient détruites et la belle machine rouillait sous un hangar, en compagnie d'une dizaine d'autres.
Il a fallu 10 ans pour tout remettre en état et reconstruire la ligne qui monte ou descend sur 118 km au fil de dizaines de gares endormies, de tunnels et de ponts de pierre construits par le génie bâtisseur italien dans un décor grandiose.
A l'époque, la ligne allait même encore plus loin, jusqu'à Agordat à la frontière soudanaise.

La locomotive qui a été remise en fonction en 2003 porte une plaque métallique, soudée sur la cabine du conducteur.
On peut y lire le nom de la société qui l' a fabriquée :

Ansaldo
Genova
1920

Et Ansaldo, c'était une énorme entreprise italienne, crée en 1853, du temps où Gênes appartenait encore au Royaume de Piemont-Sardaigne, une entreprise qui fabriqua aussi bien des cargos que des avions, des velos ou des automobiles (comme les fameuses AutoBianchi), un peu comme Hyundai qui aujourd'hui en Corée du Sud fabrique des pétroliers, des automobiles ou des ordinateurs....

Mais encore...


En 1908 fut construite une voie ferrée de 1700 km, reliant Istanbul à Medine, via Damas et Amman, destinée à assurer le transport des pélerins désirant se rendre dans la ville sainte. La construction de ce chemin de fer avait été décidée par le Sultan Abdul Hamid, et les rails furent posés par des conscrits turcs travaillant sous la direction d'ingénieurs allemands, le maître d'oeuvre étant August Meissner. C'est ainsi que les locomotives encore conservées au musée de Medine portent toujours les plaques d'identification du constructeur

HOHENZOLLERN
Düsseldorf

Le train remplit bien son office et transporta des milliers de pélerins, mais il fut constamment l'objet d'attaques des combattants des tribus rebelles et fut finalement quasiment détruit pendant la guerre de 1914-1918 par ces Bédouins dirigés par Lawrence d'Arabie.
Ce train servit aussi à transporter des sous-marins en pièces détachées destinés à être assemblés dans les ports turcs de l'Empire ottoman. Cet Empire ottoman dont Mustapha Kemal Atatürk affirma plus tard qu'il avait choisi de le sacrifier pour "sauver le peuple turc".

Vintimille, Menton, Monte Carlo, Monaco, Nice, Antibes, Golfe Juan, Juan-les-Pins, Cannes, Frejus, Saint-Raphael, Toulon, Marseille, Dijon, Paris et Calais, telles étaient les gares desservies par le mythique et légendaire Train Bleu !
Et pendant plus de 80 ans, les rochers bordant la voie furent noirs de fumée....Mais la traction électrique a mis fin à cela....tout en renvoyant les mythiques 141R dans les souvenirs de l'Histoire...