La légende des clippers...
C'est au Musée National Maritime Britannique, à Greenwich, qu'est exposé pour toujours...
et proposé à la vue de tous les touristes du monde entier...le légendaire Cutty Sark illustre clipper (voilier de course aux lignes effilées qui lui permettent de fendre les flots à grande vitesse) qui eut de plus la particularité d'être le premier de sa catégorie à bénéficier d'une coque en acier
Il fut livré en 1869 par le chantier naval Scott and Linton de Dumbarton (Ecosse) à l'armateur Jock Willis Shipping Line pour participer notamment à la fameuse et traditionnelle course du thé, qui passionnait toute l'Angleterre à l'époque
Il s'agissait pour les clippers impliqués dans cette épreuve d'être le premier à ramener en Angleterre une cargaison de thé chargée en Chine (alors sous la dynastie Qing)
Le navire arrivé premier à Londres vendait sa récolte à un prix très élevé qui permettait à son armateur de faire un bénéfice considérable, dont une partie importante était reversée au Capitaine et à l'équipage.
De plus des sommes extravagantes étaient misées sur l'un ou l'autre des navires participant, lors de paris insensés
En 1866, 3 ans plus tôt, avait eu lieu un événement mémorable qui avait enthousiasmé toute l'Angleterre :
deux navires, Taeping et Ariel , étaient arrivés pratiquement bord à bord à Londres, après un voyage aller-retour de plus de 100 jours.
Les navires ne pouvaient pas quitter le port en Chine (Whampoa, au nord de Hong Kong, ou Fou-Tchéou) avant leur chargement complet. Les caisses de thé arrivaient par sampans et autres petites embarcations remontant le fleuve Min depuis Fuzhou. Les voiliers étaient chargés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par des travailleurs chinois, tandis que l'équipage vérifiait le stock et achevait la préparation du navire.
En 1866, neuf navires chargés du premier thé de la saison quittèrent Fuzhou entre le 29 mai et le 6 juin, mais seuls cinq clippers concouraient réellement pour le prix :
Fiery Cross , Ariel, Taeping, Serica et Taitsing . Ils n'étaient plus que trois encore en lice le 30 mai. Fiery Cross était parti le 29 mai, mais il prit rapidement un jour de retard et ne fut plus en mesure de concourrir pour le prix.
Ariel avait initialement été retardé par des ennuis de remorquage en quittant Fou-Tchéou et dut prendre pas mal de risques en déployant beaucoup plus de toile que ses concurrents pour les rattraper, au risque d'avaries de gréement, qui si elles se produisirent bien, demeurèrent relativement limitées.
À cette époque, il n'existait pas de bulletins météo radiodiffusés, même si les travaux de météorologie statistique dus à Matthew Fontaine Maury commençaient à être connus. Le point était tributaire des visées au sextant, impossibles en cas de couverture nuageuse.
Une bonne part du résultat final était conditionnée par la sortie de la mer de Chine vers l'océan Indien, avec des vents de face et le délicat passage du détroit de la Sonde à négocier, ce qui imposait parfois d'aller chercher des brises thermiques près de la côte du Vietnam et de faire du rase-cailloux au milieu d'archipels difficiles à localiser comme les îles Paracels.
Il fallait parfois virer de bord en pleine nuit plusieurs fois de suite, opération bien plus délicate avec un trois-mâts carré qu'avec un voilier de régate moderne.
Certains capitaines plus prudents préféraient naviguer avec des vents portants, contourner l'île de Formose et les Philippines par l'Est puis emprunter les détroits de Gilliolo et d'Ombai, route plus longue mais pas forcément plus lente, puisqu'en 1867 le clipper Sir Lancelot, qui l'avait empruntée, rentrera à Londres en seulement 99 jours.
En cours de route, il était souvent nécessaire de déplacer du matériel lourd afin d'obtenir l'équilibre vélique optimum du navire
Après le détroit de la Sonde, les différents concurrents s'entre-aperçurent plusieurs fois dans l'océan Indien, au passage du cap de Bonne-Espérance, puis dans les parages de l'île de Sainte-Hélène, régatant à vue et forçant la toile pour gagner quelques dixièmes de nœud.
Le pot-au-noir équatorial avec ses calmes et ses brises folles redistribua les cartes en jouant le rôle d'un "passage à niveau". La barrière resta fermée plus de 24 heures pour Fiery Cross qui jusque-là avait mené avec une belle avance, ruinant les espoirs du Capitaine et de son équipage.
Dans l'Atlantique nord les écarts se réduisirent encore, les quatre premiers navires passant le même jour devant les Açores, tandis que Taitsing initialement distancé de plus de six jours en mer de Chine était revenu à moins de 48 heures des premiers.
Le sprint final se jouerait dans la Manche, qu'il faudrait remonter en entier, depuis les îles Scilly jusqu'à l'estuaire de la Tamise.
Dans cette dernière partie du parcours, pas la moins dangereuse, beaucoup dépendrait des courants de marée... et de la prompte assistance des remorqueurs à vapeur, nécessaires pour remonter de Gravesend jusqu'aux docks de Londres.
Le Daily Telegraph du 12 septembre 1866 publia un article intitulé « La Grande course du thé de 1866 » rapportant que les principaux concurrents en vue étaient Fiery Cross, Ariel, Taeping, et Serica:
« ... qui étaient partis de Chine en même temps, avaient navigué presque côte à côte durant tout le voyage, et étaient finalement arrivés aux docks de Londres avec deux minutes d'écart entre eux. Jamais personne n'aura assisté à une lutte aussi intense ou aussi merveilleuse dans certains de ses aspects. Taeping, le vainqueur, passa le cap Lizard pratiquement à la même heure qu'Ariel, son rival le plus proche, et remonta la Manche à toute allure, les deux navires de front.
Pendant toute la journée, ils naviguèrent bord à bord, portés par un fort vent d'ouest, sous toute la toile, et la mer balayant leurs ponts pendant qu'ils fuyaient devant la tempête. »
Taeping et Ariel
La course du thé
1866
La course avait duré plus de 3 mois, à travers la mer de Chine méridionale, le détroit de la Sonde en Indonésie, l'océan Indien, le cap de Bonne-Espérance (sud de l'Afrique), et la remontée de l'océan Atlantique jusqu'à la Manche. C'était la route la plus rapide pour un navire car le canal de Suez était encore en construction. Les trois meneurs de la course accostèrent à Londres avec très peu de temps d'écart
Près du cap de Dungeness, des pilotes côtiers abordèrent Taeping et Ariel au même moment, le 6 septembre et aux Downs, des remorqueurs les attendaient pour remonter la Tamise. C'est à ce moment que l'issue du duel s'est vraiment jouée.
Les deux navires avaient pris un remorqueur au même moment et ils étaient côte à côte dans la Tamise. Taeping releva cependant Gravesend le premier, grâce à un remorqueur plus puissant, avec Ariel très proche derrière, à bord duquel le capitaine Keay dut dissuader ses hommes frustrés et furieux d'embarquer de force sur le remorqueur pour bloquer les soupapes de sécurité, tandis que Serica n'était pas encore distancé.
Taeping entra dans le port à 9h45 le jeudi. Il gagna avec 20 minutes de moins qu'Ariel, et Serica fut troisième avec une heure et quart de retard sur le gagnant.
Taeping, dont le tirant d'eau était moindre avait pu rentrer plus avant dans la Tamise, jusqu'aux bassins des London Docks dont l'écluse d'entrée était plus profonde que celle des East India Docks où Ariel dut patienter plus longtemps en attendant le flot.
Fiery Cross arriva avec moins d'un jour de retard, ayant dû s'abriter à l'ancre aux Downs, car le vent soufflait à présent à plus de force 8 et Taitsing s'amarra à Londres le surlendemain.
Les trois voiliers avaient fait les trois-quarts de leur trajet autour du monde en seulement 102 jours.
Le Daily Mail écrivit que « Taeping a ainsi obtenu le prix, un extra de 10 shillings par tonne de thé ». Taeping contenait 767 tonnes et 1 108 709 livres de thé.
1866 fut d'ailleurs la dernière année où une telle prime au fret fut versée.
La prime de 100 Livres sterling au meilleur capitaine fut elle aussi partagée d'un commun accord entre les capitaines Mac Kinnon, du Taeping et Keay de l'Ariel.
Le chant du cygne pour les clippers...
La course du thé de 1866 est restée légendaire dans la littérature maritime et l'imaginaire des Britanniques à cause des écarts infimes à l'arrivée après trois longs mois de mer et les efforts physiques intenses des équipages.
Toutefois, en 1867, le premier thé de la saison était depuis déjà presque quinze jours en Angleterre quand arriva le premier clipper :
Un grand voilier équipé d'une machine auxiliaire à vapeur le Erl King , parti une semaine après les purs voiliers les devança largement à Londres. Il s'agissait d'un trois mâts assez similaire aux clippers, mais équipé d'une machine à vapeur relativement peu puissante (insuffisante pour faire route vent debout), d'une hélice rétractable (diminuant la traînée de la coque lors de la navigation sous voiles) et d'une cheminée télescopique, dispositions techniques innovantes rencontrées aussi sur le célèbre corsaire sudiste Alabama coulé devant Cherbourg au cours de la guerre de Sécession.
Après avoir ravitaillé en charbon à l'île Maurice, le Erl King arriva à Londres le 22 août avec son chargement de thé; ironiquement l'épouse du capitaine Mac Kinnon, du Taeping, était à bord... Comme elle était enceinte, son mari avait voulu lui épargner les fatigues d'une traversée en course sur un navire mené à la limite dans le gros temps. Elle accoucha d'ailleurs en mer, dans les parages des Açores.
Avec l'ouverture du canal de Suez en 1869 les clippers furent évincés par les vapeurs dans le transport du thé : en effet, même s'il était possible (mais coûteux) de remorquer un pur voilier à travers le canal de Suez, la remontée de la mer Rouge puis la traversée de la Méditerranée aux vents instables, parfois calmes et parfois très violents étaient extrêmement délicates pour les clippers, taillés pour la vitesse sur les longs parcours aux allures de largue et de vent arrière.
Le Cutty Sark, conservé de nos jours au musée maritime de Greenwich, initialement construit pour la course du thé de Chine, ne fut mis en service qu'en 1869, et à cette date les clippers du thé étaient déjà dépassés par les vapeurs et l'ouverture du canal de Suez. Même s'il fut un remarquable exemple de l'évolution des clippers avec sa coque en acier, cuivre et zinc, il a surtout fait sa carrière commerciale avec le transport de la laine de Nouvelle-Zélande avant de devenir navire école, puis navire musée, son exploitation ne s'avérant plus rentable.
D’un lissage trop parfait pouvait résulter une forme excessivement fine au-dessus de la ligne de flottaison, et par conséquent un défaut de flottabilité qui menait souvent le navire à être submergé par la crête des vagues. Ariel fut l’un des nombreux bateaux à faire les frais de cette tendance, et après qu’il eût disparu en mer sans laisser de trace en 1872, il fut communément admis qu’une vague l’avait frappé par l’arrière et fait passer son timonier par-dessus bord.
L'achèvement du canal de Suez coïncida avec le lancement du Cutty Sark, marquant une période cruciale dans l'histoire de la navigation maritime. Cette innovation introduisit un itinéraire plus court vers la Chine. Les clippers, confrontés à des conditions météorologiques difficiles dans la zone du canal et à des péages onéreux, perdirent leur position dominante dans le commerce maritime.
Dans la mer rouge, ou même la Méditerranée, la navigabilité était plus difficile pour un clipper, obligeant à des manoeuvres complexes nécessitant un équipage en veille permanente sur le pont.
En 1877, seulement neuf d'entre eux entreprirent le voyage vers la Chine, contre soixante en 1870. Après huit voyages, Cutty Sark fut contraint lui aussi d'abandonner le commerce du thé face à l'avènement des navires à vapeur. Néanmoins, il trouva une nouvelle vocation dans le transport de laine en provenance d'Australie et de Nouvelle-Zélande, établissant un record de traversée en 67 jours jusqu'à Londres.
Il entra alors en concurrence avec un autre rival redoutable : Thermopylae.
Le trajet de retour depuis l'Australie obligea le Cutty Sark à contourner le redoutable Cap Horn, où des icebergs, une mer tumultueuse, les 40èmes rugissants représentaient des défis redoutables. Le capitaine Woodget a photographié ces icebergs et a assuré la place du navire parmi les plus rapides à flot.
Le Cutty Sark est crédité d'un record de 360 milles marins parcourus en 24 heures (soit une moyenne de 15 nœuds) dans sa catégorie.Il pouvait en fait atteindre facilement des vitesses de 20 mph (32 km/h) sous vents portants.