De prestigieuses dynasties !
" Laissons-nous guider par le plaisir ! "
C'est en ces termes que Jacopo Foscari s'adressa à Lucrezia Tornabuoni, en 1436, peu après qu'elle soit arrivée à Venise.
Mais qui était donc ce fameux Jacopo Foscari qui s'exprimait ainsi ? En fait, un fils du Doge de Venise, Francesco Foscari, qui se désolait d'ailleurs de constater que l'adolescent se dispersait beaucoup dans les joies du libertinage, au lieu de se préparer à la gestion des affaires de la République, d'autant plus que 2 ans plus tard, après que son frère Domenico eut été frappé mortellement par la peste, il sera le seul fils survivant de la grande famille, appelé de ce fait à un éminent destin.
Mais le sort en décida autrement. En 1451, après avoir été dénoncé et accusé de meurtre (à tort semble-t-il) par un individu pourtant reconnu de moralité plus que douteuse, Jacopo fut condamné à l'exil.
Accusé de surcroit d'entretenir une correspondance suspecte avec le condottiere Francesco Sforza, au service de Milan avant d'en devenir duc en 1450, et donc de ce fait ennemi de Venise, le malheureux Jacopo ne survécut pas à ses conditions de vie éprouvantes et mourut en 1457, à l'âge de 41 ans.
Quant à Lucrezia Tornabuoni, qui avait su résister aux avances du frivole Jacopo, qui était-elle ? Tout simplement l'épouse de Piero de Medicis, fils de Cosimo de Medicis (ou Medici).
En 1433, Cosimo de Medicis avait été condamné à un exil de 10 ans par la seigneurie de Florence, dirigée par le gonfalonier Guadagni, suite à une machination ourdie par le puissant noble Rinaldo d'Albizzi.
En 1429, 4 ans plus tôt, Cosimo de Medicis avait pris la succession de son père Giovanni, commerçant puis banquier avisé, qui fut à l'origine de l'envol et de la richesse de Florence et de la prestigieuse dynastie des Medicis, qui virent leur destin inexorablement lié à celui de l'opulente cité
Le patriarche Giovanni était lui-même mort dans des circonstances étranges, empoisonné alors qu'il dégustait des raisins de son verger, probablement du fait d'un de ses serviteurs. Ceci entraina la prise de pouvoir de Cosimo, qui entra vite en conflit avec le seigneur d'Albizzi, qui lui reprochait entre autres les dépenses somptuaires consacrées à l'érection de la magnifique cathédrale. Cependant, depuis des siècles, cette merveille financée par Cosimo contribue à la notoriété de la ville ; elle fut l'oeuvre de l'architecte de génie Filippo Brunelleschi.
Durant le séjour forcé de Cosimo à Venise, son épouse, Contessina de Bardi, resta à Florence pour veiller aux affaires et aux intérêts de la banque et de la famille, tandis que Laurent, frère de Cosimo et futur époux de Ginevria Cavalcanti, de la riche famille des Cavalcanti de Mantoue, avait accompagné ce dernier à Venise.
Un Laurent qu'il ne faut pas confondre avec un autre Laurent, bien connu sous le surnom flatteur de Laurent le Magnifique. Car en fait , dans la longue saga des Medicis, tous les noms apparaissent au moins deux fois, sinon 3, ce qui rend l'histoire souvent inextricable. Mais pour en revenir à Lucrezia Tornabuoni, elle était donc bien l'épouse de Piero , fils de Cosimo (parfois dit Cosimo l'Ancien), ce Piero qui avait lui aussi accompagné son père durant l'exil vénitien. Et c'est ce même Piero qui sera le père du deuxième Laurent, ce fameux Laurent le Magnifique, dont nous venons de parler !
Durant son séjour à Venise, Cosimo eut toutefois un enfant d'une esclave, achetée sur le marché de Gênes, qui avait été mise à son service par la doge pour l'espionner.
En revanche, il semble que la chaste Contessina, restée à Florence, ne succomba pas aux avances de son ami d'enfance, le beau Messire Contarini, issu d'une grande famille de Mantoue enrichie dans le négoce des tissus, qui se démena pour conquérir son coeur, mais sans succès semble-t-il. Contessina resta fidèle à Cosimo, avec qui il avait cependant été mariée par suite d'une négociation purement commerciale entre les deux chefs de famille Medicis et de Bardi.
Mais par suite d'une révolte survenue à Florence, et par un étrange retournement de situation, Cosimo vit son exil abrégé et put rentrer prématurément à Florence au bout d'un an, en 1434 donc, avec toute sa famille.
Et c'est Albizzi qui à son tour se retrouva emprisonné dans la forteresse même qui avait hébérgé Cosimo avant son exil.
Faisant preuve de magnanimité, du moins en apparence, Cosimo plaida pour faire condamner Albizzi à l'exil, contrairement à nombre d'autres notables qui réclamaient sa mort. Mais il semble que cette indulgence ne fut qu'une feinte et une manoeuvre de basse politique, car peu après qu'Albizzi et son fils Ormanno eurent franchi les portes de la ville, ils furent assassinés par des mercenaires venus de Livourne qu'Albizzi lui-même avait payés pour occuper la ville. Sachant que les mercenaires sont a priori des gens peu fiables, il a été supposé que c'est Cosimo lui-même qui après avoir financé leur départ, avait également payé pour qu'ils le débarrassent de son rival.
La même situation s'était déjà produite quelques années auparavant. Des mercenaires commandés par le condottiere Francesco Sforza, qui n'était alors pas encore duc de Milan mais à la solde de ce dernier, Filippo Visconti, faisaient le siège de la ville de Lucca, appartenant à la mouvance de Florence.
Cosimo n'ayant pas d'armée capable d'affronter les troupes de Sforza avait préféré acheter ce dernier pour qu'il lève le siège, trahissant de ce fait Filippo Visconti. Ce qui ne l'empêchera pas peu après d'en épouser la fille, préparant ainsi sa prise de pouvoir et sa nomination comme nouveau duc de Milan , à la mort de Filippo, ce qui l'amena à créer de ce fait une nouvelle dynastie milanaise.
On notera d'ailleurs que ces pratiques consistant à acheter des notables, puissants soldats ou autres, étaient monnaie courante à l'époque (mais peut-être pas seulement, direz-vous ?) , au rythme des guerres incessantes qui désolaient périodiquement la péninsule, opposant régulièrement les principautés majeures, Venise, Milan, Florence ou Gênes, bénéficiant d'alliances ou contre-alliances de circonstance avec d'autres villes de moindre importance , Mantoue, Padoue, etc. Selon le contexte et les intérêts du moment, l'ami d'hier pouvait devenir quelques années plus tard l'ennemi d'aujourd'hui, et inversement.
Tout cela conformément à l'image des guerres intestines qui opposèrent pendant des décennies les camps connus sous les noms de Guelfes et Gibelins, soutenus les uns et les autres par les grandes familles des Doria, Grimaldi, Fieschi , Spinola ou autres.
Mais même la Papauté n'était pas à l'abri de ces manoeuvres militaires ou financières.
On peut citer notamment le cas de l'amiral Baldassare Cossa, élu Pape en 1410 sous le nom de Jean XXIII grâce à l'argent de Cosimo qui avait littéralement acheté (corrompu) les membres du conclave participant à l'élection pontificale. Car Cossa s'était engagé, s'il était élu, à octroyer aux banquiers Medicis la gestion très lucrative des comptes pontificaux.
En fait d'amiral, Cossa n'était en réalité qu'un vulgaire ancien pirate, reconverti par la suite en condottiere (mercenaire) qui avait pu accéder au statut de Cardinal grâce à l'argent provenant de ses actions criminelles, notamment le pillage de la ville de Bologne, ainsi que de son entregent, et du réseau de relations qu'il avait su se forger. Notamment, il avait réussi à se faire nommer Cardinal par le Pape Boniface IX, dont il avait su devenir un familier.
Le fait de porter la robe de Cardinal lui donnait le droit de postuler à l'élection pontificale.
Ce qu'il tenta donc avec succès et réussit en 1410. C'est ainsi que l'ancien pirate put accéder à la fonction suprême de "représentant de Dieu sur terre " !
Mais en 1415, il fut emprisonné 2 ans, au titre de 70 chefs d'inculpation (réels ou inventés, justifiés ou pas), notamment : viols, sodomie, inceste, torture et meurtre. Ceci entraina sa destitution, survenue peu après ; le qualificatif et le titre de Jean XXIII lui furent alors retirés. Ils seront attribués en 1958 à Angelo Roncalli.
Plus tard, en 1434, lorsque les troupes de Visconti, duc de Milan de 1412 à 1447, commandées par Francesco Sforza occupèrent Rome et fomentèrent une révolte qui mit en fuite le Pape Eugène IV, Vénitien et donc hostiles aux Milanais, celui-ci vint se réfugier à Florence. Et c'est encore l'argent des Medicis qui permit de financer une armée, dirigée par le redoutable cardinal-soldat Vitelleschi, qui au terme de combats d'une férocité et d'une crauté effroyables , permit de rétablir Eugène IV dans ses fonctions en 1443.
L'histoire a retenu que ce fut là le 4ème sac et pillage de Rome, après ceux de 410 et de 455, commis respectivement par les Wisigoths d'Alaric, puis les Vandales de Genséric. En 546 survint le sac des Ostrogoths . Le 5ème, celui de 1527, fut perpétré par les troupes dites impériales de Charles Quint commandées par Charles III de Bourbon.
En fait , on considère généralement que la dynastie des Medicis (ou Medici) s'étendit durant 3 siècles, de 1434 à 1737, avec une interruption entre 1494 et 1498, période de la dictature théocratique instituée par Girolamo Savonarola, sorte de moine intégriste excessivement vertueux qui n'obtint pas l'assentiment d'une grande partie de la population florentine, au point qu'il termina sa vie pendu et brûlé vif.
Mais le macabre bûcher annonça le déclin de la prestigieuse cité toscane, qui ne connaîtra plus jamais la grandeur qu'elle avait connue lors de son apogée, sous le règne de Laurent le Magnifique, mécène fastueux et généreux qui dirigea la ville de 1469 à 1492.
Cette époque fut caractérisée par l'apparition d'artistes illustres, du nom de Botticelli, Verrocchio, Donatello ou MichelAngelo, mais aussi comme toujours par des troubles et rivalités incessantes, notamment la conjuration des Pazzi qui entraina l'assassinat de Giuliano, le frère de Laurent. Le Magnifique fut d'ailleurs lui-même blessé dans l'attentat, qui fut perpétré dans une église.
Les descendants du Patriarche Giovanni semblaient avoir oublié depuis longtemps les préceptes que lui-même enseignait : Soyez humble, n'exhibez pas votre richesse, ne cherchez pas à susciter la convoitise ou la jalousie
Giovanni mettait d'ailleurs ses préceptes en application, se déplaçant toujours sur un vieil âne, vêtu d'un méchant manteau de drap ou de bure, sachant pertinemment qu'à chaque coin de rue ou de bois on risquait de perdre la bourse ou la vie dans cette société cruelle
Et on dit même qu'il aurait jeté au feu un vêtement de son fils Laurent (Laurent l'Ainé) estimant qu'il était trop voyant et luxuriant
La famille Medicis a donné 3 Papes à Rome et deux Reines à la France, Catherine de Medicis, épouse de Henri II, Reine de 1547 à 1559, et elle-même mère de 3 Rois (Henri III, François II et Charles IX, dont le règne fut endeuillé par la Saint-Barthelemy); puis Marie de Medicis, seconde épouse de Henri IV (après Marguerite de Valois), Reine de France et de Navarre de 1600 à 1610 (date de l'assassinat de ce dernier), mère de Louis XIII.
La République de Venise fut détruite en 1800 par les troupes napleoniennes.
Sa partie orientale, la côte dalmate, l'actuelle Croatie, devint même un département français. A la restauration, la Vénétie fut réintégrée à ce qui allait devenir l'Empire austro-hongrois, comme la Lombardie et toute l'Italie du Nord, à l'exception du Royaume de Piemont-Sardaigne. Après la grande tuerie d'auto-destruction de l'Europe de 1914-1918, l'Empire austro-hongrois fut demantelé, la Croatie fut intégrée à la première Yougoslavie nouvellement créée (le Royaume des Serbes, croates et Slovènes), tandis que Trieste, le grand port de guerre de cet ancien Empire austro-hongrois, fut attribué à l'Italie qui s'était rangée du côté des futurs vainqueurs en 1915, contre la volonté du peuple qui voulait rester neutre.
Filippo Visconti, à qui il a été fait allusion plus haut, fut le 3° duc de Milan. Personnage affligé d'un physique très peu avantageux, reconnu quelque peu rachitique même, il s'avéra en revanche doué d'un sens politique très développé qui lui permit d'agrandir considérablement le duché, malgré des conflits perpétuels entretenus avec les autres entités telles Florence , Venise ou la Papauté. A sa mort, en 1447 , la Lombardie débordait largement de ses frontières territoriales actuelles. On peut comparer Filippo Visconti à Octave, personnage fluet et boitillant, mais doté lui aussi d'un fort sens politique qui lui permit de vaincre le vigoureux soldat Marc-Antoine tombé sous les griffes de Cleopatre, puis de devenir 1° Empereur de Rome sous le nom d'Auguste et d'établir la pax romana qui mit fin à de cruelles guerres civiles qui faisaient des coupes sombres dans la population romaine depuis des décennies.
C'est à Jean Galeas Visconti, ancêtre de Filippo, que l'on doit la construction d'une des plus belles cathédrales du monde, il duomo de Milan, dont une statue culmine à ...108 mètres de hauteur !
Des millions de gens ne le savent pas, mais ils portent presque sur eux, chaque jour, la marque des Visconti.
Car La calandre des rutilantes Alfa Romeo s'orne toujours du logo de la marque, avec à gauche le drapeau des tribus celtes de Lombardie,et à droite il biccione, le serpent vert, emblême des ...Visconti !
Mais à Milan, on peut admirer une autre merveille.
C'est un magnifique château, bordé de très longues et hautes murailles, le château des Sforza, les ducs de Milan qui ont succédé aux Visconti. Le premier de la dynastie fut le célèbre Francesco, condottiere lui-même et fils de condottiere, qui se vendait au plus offrant et qui devint gendre de Filippo Visconti du fait de son mariage avec sa fille illégitime Bianca Maria.
Il fut souvent considéré comme l'homme le plus puissant d'Italie.
On lui attribue au moins 14 enfants illegitimes en plus de ses 7 enfants officiels.
En 1515, à la bataille de Marignan, François 1° vit combattre dans les rangs adverses un descendant de Francesco, Maximilien. Et 10 ans plus tard, à Pavie, en 1525, François 1° connut une défaite cinglante face aux troupes de son cousin Charles Quint, commandées par Charles III de Bourbon, déroute qui entraina sa capture et son emprisonnement en Espagne pendant un an en attendant le versement d'une rançon.
Et c'est précisément parce qu'il avait pour arrière grand-mère une certaine Valentine Visconti que François 1° s'était lancé dans cette aventure folle visant à lui permettre de s'emparer de ce qu'il considérait comme son bien, du fait de cette ascendance : le duché de Milan !
François 1° n'avait pas écouté les conseils avisés de sa mère Louise de Savoie, qui pressentant le désastre, avait tout fait pour tenter de le dissuader.
En 1848 eut lieu en Lombardie une rebellion indépendantiste, qui fut matée par le général autrichien Radetzky. Ceci donna lieu à la réalisation par Johann Strauss de la fameuse valse connue sous le nom de "Marche de Radetzky".
Mais 11 ans plus tard, en 1859, ce fut l'inverse qui se produisit. L'armée du royaume de Piémont-Savoie, soutenue par des troupes envoyés par Napoleon III, vainquit les Austro-Hongrois à Magenta et Solferino, ce qui permit au Roi Victor Emmanuel II de réaliser son projet de naissance, création et unification du Royaume d'Italie en 1961.
5 ans plus tard, la Venetie y fut annexée.
Etrangement, c'est le fait d'avoir été l'objet d'une tentative d'assassinat menée par l'indépendantiste italien Orsini qui amena Napoleon III, rejoint par le célèbre Garibaldi, à entrer en guerre dans le camp de celui qui avait failli le tuer
La terrible bataille de Solferino fut à l'origine de la création de la Croix Rouge. Le banquier genevois Henri Dunant, présent par hasard sur les lieux, fut témoin des atrocités commises, les artilleurs tirant au canon sur les gens d'en face rangés en ligne, comme cela se faisait lors des batailles napoleoniennes et celles de la guerre de Secession. Il fut tellement horrifié par le spectacle des 38000 morts démembrés et blessés agonisant pendant des heures sans soins, sans eau, sans assistance, que , hanté par ces images d'apocalypse , il décida de consacrer sa vie et sa fortune à l'élaboration d'une société destinée à alléger les souffrances des malheureux soldats victimes des tueries de la guerre.
Le malheureux humaniste remplit si bien la mission qu'il s'était confiée qu'il termina sa vie ruiné, errant de çi de là en ermite solitaire