La tragique odyssée de l'Italia
C'est le 6 avril 1909 qu'un homme posa pour la 1° fois le pied au pôle Nord:
L'Américain Robert Peary, après s'être échiné pendant 15 ans à aller de plus en plus loin vers le Nord, parvint enfin à planter la bannière étoilée au point de latitude 90N.
Le 9 mai 1926, à 9H09, 3 autres Américains, enfermés dans la carlingue d'un trimoteur Fokker,
baptisé "Josephine Ford", en l'honneur de la petite-fille du célèbre constructeur d'automobiles, survolent le pôle Nord :
il s'agit de Richard Byrd, Commandant de l'US Navy, Floyd Bennett, pilote, et le lieutenant G. O. Noville. Ils regagneront leur base après ce raid réussi de 2500 km.
Et le 11 mai, l'explorateur norvégien Roald Amundsen, qui lui a déjà mis le pied au pôle Sud, survole aussi le pôle Nord à bord du dirigeable Norge, acheté en Italie et piloté par le colonel italien Umberto Nobile, ingénieur en aéronautique.
Outre ces deux hommes se trouve à bord un équipage composé de 6 mécaniciens italiens,
complété par la présence du financier de l'opération, le richissime homme d'affaires Lincoln Ellsworth.
Malheureusement, au cours du voyage, Amundsen et Nobile se sont brouillés, et ils ne se parlent plus : au lieu de les réunir, le magnifique exploit les a séparés.
Ulcéré de la tournure prise par les événements, et de voir son ancien coéquipier tenter de s'attirer médiatiquement tout le prestige de l'opération, Amundsen décide alors de mettre fin à sa carrière d'explorateur et de se retirer.
L'opération de trop...
Mais Nobile, devenu général, décide alors de lancer une 2° expédition. Il réunit un équipage international de 15 hommes triés
sur le volet (ingénieurs, navigateurs, radios, mécanos), dont les 6 anciens du Norge.
L'opération est soutenue par le Gouvernement du Roi Victor-Emmanuel II et du duce Mussolini et est financée par la ville de Milan,
et elle sera menée à partir d'un autre dirigeable construit pour l'occasion et nommé Italia.
Le but sera atteint le 23 mai 1928, mais des vents violents ne permettent pas aux hommes de descendre sur la banquise.
Le dirigeable stationne deux heures au-dessus du pôle, puis prend le chemin du retour et c'est alors que le drame arrive.
Le drame du 24 mai 1928
Alourdi par le givre, affrontant le blizzard et une énorme tempête, l' Italia a juste le temps de lancer un message de détresse,
avant de piquer du nez et de heurter un immense bloc de glace pointu.
10 hommes sont alors éjectés de la nacelle, dont Nobile qui aura une jambe et un bras fracturés au cours de la chute ;
Cecioni a une jambe fracturée et Malmgren un bras cassé.
Par chance, quelques accessoires dont une tente rouge et quelques vivres ont pu leur être jetés en catastrophe du dirigeable par une main inconnue : cela leur sauvera la vie.
Des 6 autres restés à bord de l'Italia qui a repris de l'altitude, on n'aura plus jamais de nouvelles, et l'épave du dirigeable ne sera jamais retrouvée.
Abandonnés dans le Grand Nord !
Pendant presqu'un mois, toutes les marines des pays proches, alertées par un faible message radio, vont se lancer à la recherche des malheureux rescapés,
et des avions de toutes nationalités vont labourer la zone supposée du drame.
Le 20 juin, le misérable campement est repéré par le commandant Maddalena, à bord de l'avion Savoia, grâce notamment à la fameuse tente rouge.
Mais ce n'est que le 23 juin qu'un aviateur suédois, Lundborg, réussira à atterrir avec son minuscule avion équipé de skis sur l'énorme glaçon où se massent les rescapés.
Mais il ne pourra ramener que Nobile, le plus gravement blessé, ce qui sera par la suite injustement reproché à l'explorateur,
alors qu'il semble que d'après les déclarations de ses compagnons d'infortune, tous étaient d'accord pour qu'il parte en premier - et l'ont même exigé.
Cinq héros perdus pour toujours!
Entretemps, une expédition de secours, composée du Capitaine de corvette René Guilbaud, du lieutenant de vaisseau Albert Cavelier de Cuverville,
du mécano-chef Gilbert Brazy et du radio Emile Valette s'est perdue en mer.
Elle était de plus accompagnée de Roald Amundsen qui, héros chevaleresque, avait décidé de se porter courageusement
au secours de son ancien ennemi à qui il avait tout pardonné, solidaire de son malheur, oubliant dans l'adversité ses anciens griefs.
Faisant valoir son expérience, il insiste pour diriger les recherches à bord de l'hydravion Latham-47.
On ne saura jamais ce qu'il est advenu du Latham-47, mais un monument honorant la mémoire des 5 courageurs sauveteurs est
visible à Caudebec-en-Caux, d'où était parti l'hydravion.
Des souffrances inimaginables !
Après avoir ramené Nobile sur le "Citta di Milano", transformé en navire-hôpital, Lundborg est reparti chercher un autre rescapé,
mais par comble de malchance il ratera son atterrissage et viendra de ce fait grossir les rangs des malheureux naufragés qui sont maintenant abandonnés
depuis un mois sur ce glaçon dérivant escarpé ; ils ont cependant pu se faire larguer et parachuter des vivres et du ravitaillement,
maintenant que leur position est connue -et bien repérable grâce à la tente rouge.
Entretemps, trois des naufragés, plus valides que les autres, avaient décidé de partir à pied vers le sud chercher du secours.
Ce n'est que le 12 juillet que le brise-glace russe Krassine, capitaine Samoilovitch, dont les 116 hommes d'équipage s'étaient démenés pour lui frayer un chemin au milieu d'icebergs flottants de 3 mètres de haut, faisant feu de toute la puissance de ses énormes pistons, va récupérer deux de ces hommes, le troisième étant mort de froid et de faim.
Et il suffira de 40 kilomètres au brise-glace pour retrouver le 13 juillet les rescapés de l'Italia, car en 49 jours d'un calvaire inhumain les deux marcheurs survivants n'avaient progressé que de 40 km !
Entretemps, ce même 13 juillet, un hydravion a récupéré dans un état d'épuisement total 2 autres sauveteurs, Sora, capitaine de chasseurs alpins, et Van Dongen, à demi morts de faim et de froid,
partis courageusement à pied et en sens inverse à la recherche des naufragés.
Plus tard, une presse ingrate, insensible aux terrifiantes souffrances morales et physiques qu'ont endurées les malheureux naufragés,
totalement dénuée de compassion face au calvaire subi, les jugera sévèrement,
et au premier rang d'entre eux le général Nobile.
Incapable de respecter le chagrin de cet hommme accablé par la perte de ses compagnons, le "système" s'acharnera sur lui. Il ressortira fortement meurtri
de se voir attribuer la responsabilité totale de l'échec de l'opération,
et de la tragédie qui s'ensuivit.
Un effroyable bilan...
En tout, ce sont 11 hommes qui ont disparu dans la tragédie, et payé de leur vie leur soif de participer à une grande aventure humaine et scientifique.
Sans compter ceux qui auront subi des blessures et souffrances physiques et morales qui les poursuivront le reste de leur vie.
Hélas, ils étaient loin d'être les premiers :
Déjà, en 1896, l'ingénieur suédois Andree, 42 ans, avait mis sur pied une expédition aéronautique destinée à atteindre le pôle Nord.
Avant son départ, le malheureux clamait aux sceptiques : "Ce sera une promenade !"
Hélas, le sort en décida autrement.
Le Président Felix Faure lui-même viendra assister au départ du dirigeable Oern, spécialement construit pour l'expédition,
et exposé au Champ de Mars avant son départ pour sa base du Spitzberg.
C'est de là que le 11 juillet 18987, le Oern prit son envol définitif, avec à son bord deux autres Suédois, Fraenkel, 27 ans, et Strindberg, 24 ans.
Ce n'est que 43 ans plus tard qu'on retrouva les débris de l'Oern sur une ile désolée, près de la terre François-Joseph, à 800 km du pôle.
Les documents retrouvés permirent d'apprendre que les trois malheureux, mal équipés, avaient souffert du froid et enduré un calvaire atroce dans un grand silence troublé par les seuls hurlements du blizzard.
Calvaire atroce qui dura 3 mois et au terme duquel ils moururent d'épuisement.
Disparu à jamais...
Bien plus tard, Nobile partit en Russie comme conseiller technique aéronautique, et il y construisit un nouveau dirigeable, le B-6.
A son bord, il se livrera à plusieurs vols riches d'enseignements, avec toujours le secret espoir de retrouver une trace de l'épave de l'Italia.
Helas, ce ne fut pas le cas, rien ne fut jamais retrouvé, et le mystère restera entier.
C'était...le drame de l'Italia !
Miranda Frey